Accueil > Géopolitique > QUE RETENIR DE LA RENCONTRE DIOMAYE-MACRON ?

QUE RETENIR DE LA RENCONTRE DIOMAYE-MACRON ?

QUE RETENIR DE LA RENCONTRE DIOMAYE-MACRON ?

Eviter le positionnement idéologique

Dans une sous-région minée par le combat idéologique entre la France et la Russie, la visite du Président Bassirou Diomaye Faye est un signe que le Sénégal entend éviter tout positionnement géopolitique. En effet, la crise djihadiste a profondément bouleversé la géopolitique de la sous-région. L’immixtion de nouveaux acteurs comme la Russie dans le « grand jeu sahélien » a considérablement affaibli l’influence française. La fin de l’opération Barkhane a été un « coup dur » pour les décideurs français. L’Hexagone a perdu plusieurs points d’appui dans le « heartland » sahélien. Aujourd’hui, avec l’avènement des régimes militaires, on assiste à une bipolarisation régionale. D’un côté la CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest), de l’autre l’AES (Alliance des États du Sahel), créée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Alors que certains voyaient le Sénégal adhérer à la nouvelle organisation sous-régionale chapeautée par Moscou, le Président Diomaye Faye s’est voulu très clair lors d’un voyage à Bamako. « Le Sénégal n’est pas en train d’étudier l’idée de rejoindre un quelconque ensemble », a-t-il coupé court. Le président de la République veut montrer que la rupture ne signifie pas un rapprochement avec la Russie, « mais plutôt un changement dans les relations tout en privilégiant les intérêts du Sénégal », estime Ibrahima Dabo. « Diomaye a compris que la meilleure politique diplomatique pour le Sénégal serait de diversifier ses partenariats de manière équilibrée, tout en évitant de s’engager dans un combat idéologique et géopolitique entre les grandes puissances », détaille l’expert, précisant que « le Sénégal souhaite maintenir d’excellentes relations à la fois avec la France et la Russie ».

« Un voyage qui dérange »

Le déplacement du Président Bassirou Diomaye Faye à Paris est en tout cas mal perçu par certains panafricanistes qui le voient comme une « continuité » de ce qu’étaient les relations franco-sénégalaises sous l’ère de Macky Sall. Il faut savoir qu’au lendemain de l’élection présidentielle de mars dernier, plusieurs mouvements d’obédience panafricaniste, séduits par le discours souverainiste d’Ousmane Sonko, avaient soutenu la coalition Diomaye Président. Dans un post sur sa page Facebook, le député Guy Marie Sagna n’a pas caché son amertume : « Même Macron sait que Diomaye balaiera tous les soldats français du Sénégal et mettra un terme à l’occupation monétaire du Sénégal par la France. Nous ne voulons ni 100 soldats français, ni 50, ni 25. L’armée française va s’en aller et le Sénégal va arracher sa souveraineté monétaire », a écrit le leader du mouvement Frapp (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaniste). S’agit-il d’une mise en garde ou d’un simple rappel des promesses à l’intention du nouveau président de la République ? Une chose est sûre : les discours de campagne sont souvent rattrapés par les réalités du pouvoir. « Le président Diomaye adopte une approche prudente concernant les bases françaises. Il sait que tout doit se négocier. Il y a trop de détails techniques. Une rupture brutale avec la France, comme l’ont fait certains pays du Sahel, est inenvisageable pour le moment », estime Ibrahima Dabo. Mais pour les panafricanistes pro-russes présents sur les réseaux sociaux tels que Nathalie Yamb, Kémi Séba et le Professeur Nyamsi, la rencontre entre le Président Diomaye et son homologue français est une surprise. Ils la qualifient de « trahison ». « Ce voyage suscite des remous. Certains influenceurs pro-russes pensaient que le nouveau président sénégalais romprait avec la France pour s’allier avec la Russie de Vladimir Poutine. Ils oublient que les Sénégalais aspirent à plus de souveraineté sans pour autant rompre avec leurs partenaires », précise le spécialiste.

À l’opposé des autres pays du Sahel où l’influence française a décliné, le Sénégal ne connaît pas de problèmes sécuritaires majeurs, bien que la menace djihadiste ne soit pas lointaine. Ainsi, les réalités sont différentes. Les slogans anti-français ne mobilisent pas les foules au Sénégal, contrairement au Mali et au Burkina Faso. Les soldats français présents sur le sol sénégalais sont souvent des formateurs. Ils ne sont pas en mission de combat, rappelle Amadou Diallo, spécialiste en relations internationales. Toutefois, il soutient que cette rencontre avec Macron n’est qu’une prise de contact, comme l’a rappelé le président Faye. « Il est trop tôt pour statuer sur la trajectoire que vont prendre les relations franco-sénégalaises. Tout peut arriver. Les prochaines années seront déterminantes », conclut-il.

El Hadji Ibrahima Faye