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Analyse geopolitique : quels sont les enjeux géopolitiques et géostratégiques de l’accord de paix de l’accord de paix conclu entre Israël et les Emirats arabes unis ?
L’accord de paix signé entre Israël et les Emirats annoncé par Trump est venu comme une surprise rabattre les cartes diplomatiques israélo-arabes qui étaient au point mort depuis 26 ans. Cet accord, la troisième du genre signé entre l’Etat hébreu et un pays arabe, après l’Egypte de Sadate en 1978 et la Jordanie du roi Hussein en 1994, risque de redessiner les enjeux géopolitiques et géostratégiques au moyen et Proche-Orient.
◾ Un coup de pouce à Trump
Distancé dans les sondages par Biden, secoué par les manifestations du mouvement « Black Lives Matter » et dépassé par la crise du coronavirus, l’administration Trump en panne ne pouvait espérer mieux qu’un accord de paix pour se vanter au moins d’un succès diplomatique.
Dès le début de son mandat, le président Trump a choisi de rompre l’héritage Obama pour construire le sien. L’accord de Paris sur le climat, l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba ont été un a un déchiré éclaboussant ainsi la fiabilité de diplomatie américaine. A la place, le virage 360 degrés vers la dictateur Nord-coréen et la Russie de Vladimir Poutine n’ont pas eu les effets tant escomptés. Malgré la fanfare médiatique à Singapour, les promesses de dénucléarisation sont restées sans suite. La Corée du Nord a repris de la plus belle manière son programme d’armement atomique et la provocation de son voisin et ennemi du sud. Le sommet de Helsinki a été vécu comme une trahison par l’establishment américain d’où le renforcement des partisans de la « connivence » russe sur le plan intérieur.
Dès lors, la recherche de succès diplomatiques prestigieux à l’échelle international était devenue un impératif stratégique à l’approche des échéances électorales du 3 novembre déjà mal engagé par le camp républicain.
Compte tenu de la convergence d’intérêts stratégiques solides qui existe entre les Emirats arabes unis et Israël envers les ambitions « hégémoniques » de l’Iran dans la région et de l’axe Doha-Ankara, l’accord de paix est venu à un moment où l’administration Trump en avait le plus besoin. Le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Ben Zayed est tout aussi hostile à l’Iran que Trump et Netanyahou. L’accord de paix peut être un levier pour sauver le soldat « Trump » foncièrement engagé contre la République Islamique d’Iran sur tous les fronts.
Il s’agit dorénavant d’offrir ne serait qu’un coup de pouce pour influer sur l’électorat évangéliste fortement attaché à Israël. Au Moyen-Orient, la politique menée par les États-Unis ne semble avoir eu que deux déterminants : la politique intérieure et l’argent. Donald Trump a ainsi multiplié les cadeaux à son allié Benyamin Netanyahou en transférant l’ambassade américaine à Jérusalem, en proposant le « deal du siècle », et finalement, en acceptant l’idée d’une annexion d’une grande partie des territoires occupés, pour des raisons qui semblent tenir exclusivement à la satisfaction de l’électorat évangéliste américain [1]
◼️La consolidation du front anti-iranien
Les pays du golfe ont longtemps eu des difficultés à adopter un consensus clair sur la question iranienne. Cet accord de paix vient donner un succès à l’administration Trump dans sa longue campagne d’isolation de la République Islamique. Les Emirats arabes unis sont un partenaire commercial de premier plan pour l’Iran. En effet, pour échapper à l’embargo, le port de Dubaï constitue une porte d’entrée de la plupart des produits sous embargo américain. Téhéran ne s’y est pas trompé en dénonçant « une erreur stratégique ». A travers ce rapprochement, l’objectif israélien est double.
Sur le plan diplomatique, il s’agit pour Israël de se rapprocher d’un voisin arabo-musulman pour rompre le complexe obsidional afin de mettre un pas dans le golf. Ce rapprochement travaillé de longue haleine par le gendre de Trump Jared Kushner permettra à Israël de combattre deux ennemis communs : l’Iran et les frères musulmans. « A la crainte des monarchies arabes d’être renversés chez elle par des mouvements fréristes ou chiites voir tout un autre soulèvement contestataire défini comme terroriste s’est ajouté la perspective d’un Iran assumant la maitrise des techniques nucléaires et balistiques » [2] L’effet domino des printemps a été si imprévisible au point de renverser des autocrates laïcs du Mahgreb (Moubarak et Ben Ali) alliés de longue date des pays du gol fe. L’arrivée des vagues islamistes affiliés au frères musulmans souvent proche de la République Islamique sur le plan idéologiques a été vécu comme cauchemar d’autant plus que ces derniers constituent un contre modèle aux monarchies jugés trop pro-occidental et dictatorial. L’arrivée de Morsi au pouvoir en Egypte adoubé par Téhéran était considéré comme un virage dans la diplomatie américain, avait fini à sceller une entente tacite du triangle Tel Aviv-Abou Dhabi et Ryad.
Les ambitions nucléaires de la République Islamique ne sont pas en restes. Malgré les succès de la pressions accentuées sur la diplomatie de Trump en vue du retrait du JCPAO et le rétablissement d’un régime de sanctions extrêmement sévères y compris dans le domaine nucléaire. « De l’existence d’intérêts partagés à l’échange de renseignement, il y’a un pas qui d’après certains médias israéliens, serait désormais franchi de manière systématique. En 2016, la deuxième chaine de télévision israélienne a relaté que Yuval Steinitz, un ministre du gouvernement Netanyahou, aurait profité d’une visite présumée à Abou Dhabi pour des échanges sur le nucléaire iranien » [3]. Les efforts Emiratis à déconstruire les ambitions nucléaires iraniennes se joignent à ceux d’Israël.
Par ailleurs, Les Emirats sont des clients potentiels qui peuvent bénéficier du savoir-faire israélien dans les domaines de l’armement, de l’agriculture, des nanotechnologies et surtout du partage de renseignements.
Sur le plan géopolitique et géostratégique, comme l’Etat hébreux l’a fait avec l’Azerbaïdjan et le gouvernement autonome du Kurdistan, la recherche d’alliés sur le plus proche voisinage a toujours été un enjeu stratégique d’une importance primordiale. La position des Emirats sur le golfe offre un atout idéal pour surveiller de près les activités iraniennes. Les iraniens sont conscients de cette tactique israélienne notamment Mohammed Hussein Bagueri le major général de la puissante CGRI (Corps Gardiens de la république Islamique) [4] « l’approche de Téhéran à l’égard des Emirats va changer. Si quelque chose se produit dans la région du golfe persique et si notre sécurité en pâtit de la manière aussi petite que ce soit, nous tiendrons les Emirats pour responsable et nous ne le tolérons pas »
◼️Les Conséquences de l’accord de paix
L’accord de paix ne s’est pas fait sans contrepartie. En rétablissant les relations bilatérales, Israël s’est engagé à suspendre temporairement pour ne pas dire définitivement l’annexion de la Cisjordanie. « Un accord a été trouvé pour mettre fin à toute annexion supplémentaire de territoires palestiniens » s’est réjoui Mohamed Ben Zayed. Mais cet accord tant vanté par les deux parties n’est pas sans conséquences. Tout d’abord, la crédibilité et le prestige des Emirats dans le monde islamique pourrait en pâtir. L’autorité palestinien et le Hamas ont d’ailleurs dénoncé d’une même voix une « trahison » des Emirats arabes unis. En faisant le choix de faire un pas vers Israël, la monarchie montre clairement que la cause palestinienne n’est une priorité dans sa diplomatie. Ce qui met en lumière les supputations d’une connivence officieux avec l’ennemi longtemps soupçonnée par le Hamas depuis l’assassinat de Mahmoud Al-Mabhouh en 2010 à Dubaï par le Mossad.
Puis, l’effet domino qui entrainerait les autres pays golfe n’est pas exclure notamment le Bahreïn, l’Oman et le Royaume d’Arabie Saoudite. « Cet accord est une brèche pour, à l’avenir, obtenir le graal, à savoir des relations diplomatiques avec Ryad » [5]. Vue la sature de l’Arabie Saoudite fief des deux lieux saints : la Mecque et Médine, une éventuelle reconnaissance de l’Etat hébreux est loin, mais n’est pas écarter si le tout puissant Mohammed Ben Salman ne cesse de louer les réussites économiques d’Israël. Le Bahreïn fait figure de proue s’il s’agit de mettre en avant les intérêts américano-saoudiennes dans la région. Le mouvement de contestation de 2011 a poussé la petite monarchie à se durcir le ton envers Téhéran et à s’aligner sur l’ordre régional américaine.
En définitive, l’image écorné des Emirats envers l’opinion palestinien pourrait contribuer aux renforcements de deux acteurs : les détracteurs de la solution à deux états et l’axe Ankara-Doha. Pour l’axe de la résistance chapotée Téhéran, l’accord de paix met en lumière la duplicité des monarchies du golfe plusieurs fois dénoncée par le Hezbollah. La marge de manœuvre de l’autorité palestinien se trouvera considérablement réduit. En effet, cette situation profite aux détracteurs de la solution à deux états notamment les mouvements de résistance dans la bande de Gaza : le Hamas et le Jihad Islamique. L’axe Ankara-Doha voit sa hausse de popularité et son prestige augmenter dans le monde musulman sunnite malgré la reconnaissance d’Israël par Ankara dès les premiers jours de sa création. Le ministre des affaires étrangères Turc n’a pas hésité à railler les Emirats [6] : « l’histoire et la conscience de la région n’oublieront et ne pardonnerons ce comportement hypocrite des Emirats, qui trahissent les palestiniens au nom de leurs petits intérêts ».
Sur le plan diplomatique, Ankara comme Doha peuvent avoir l’occasion de combler le vide laissé par les Emirats arabes unis, en vue d’être des interlocuteurs dans de futures négociations israélo-palestiniennes.
El Hadji Ibrahima Faye
Étudiant en géographie à Université Cheikh Anta Diop
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[1] Frederic Mauro, Assiste-on à la fin du leadership American – IRIS, 24 Juliet 2020.
[2] G Efsandiari – “How are the protests in Egypt, Tunisia’s Jasmine Being Viewed in Iran – Radio Free Europe – 28 janvier 2011
[3] Elisabeth Marteu – “Israel et les pays du golf : les enjeux d’un rapprochement stratégique” IFRI, 2020
[4] Mohammed Hussein Al Bagueri : accord de paix entre Israel et Emirats, l’Iran changera son attitude e, AFP.com 16 Aout 2020
[5] Anthony Bellanger – “Quels sont les enjeux de l’accord diplomatique entre les Emirats et Israel” Franceinfo- 15 Aout 2020
[6] Ministre Turc des Affaires étrangers – “L’autorité palestien, la Turquie et l’Iran” Atlantico – 16 Aout 2020